Bonjour à tous et bienvenue dans le septième numéro de cette rubrique ! Aujourd'hui, j'ai eu l'immense privilège de rencontrer l'équipe de football amputé du Paris FC. Ces joueurs ont un parcours exceptionnel, marqué par une résilience profondément inspirante. Après leur match contre l'équipe nationale de Belgique, le 15 septembre dernier, j'ai eu l'opportunité de leur poser quelques questions. J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette interview que j'en ai eu à la réaliser. Mais je ne vais pas en dire davantage, car ils sauront se présenter bien mieux que moi !
Hamza : Je m'appelle Hamza, je suis international marocain et j'ai 32 ans. Je joue avec l'équipe de Paris FC de foot amputé. Quand j'étais au Maroc, j'ai eu un accident de scooter à l'âge de 20 ans. Une voiture a grillé un feu rouge, et ma jambe s'est retrouvée coincée entre le pare-choc et la roue. Elle a été écrasée, et j'ai été dans le coma pendant un mois. J'ai perdu beaucoup de sang, mais grâce à ma famille et à mes amis, qui m'ont encouragé, j'ai pu surmonter cette épreuve.
Marwan : Je m'appelle Marwan Gharrech, j'ai 33 ans et je suis joueur du Paris FC ainsi que de l'équipe de France. J'ai eu un accident de moto avec une voiture, et j'ai perdu ma jambe gauche à l'étranger il y a deux ans. En fait, je ne roulais pas vite, mais il y avait une voiture qui arrivait à grande vitesse vers moi, puis elle m'a percuté. J'ai été coincé entre la roue et le cadre de la voiture, et c'est comme ça que j'ai perdu ma jambe.
Mohamed : Je m'appelle Mazoud Mohamed, j'ai 46 ans. Je suis licencié au club de foot amputé du Paris FC depuis bientôt 4 ans. Je suis 5 fois champion de France, 3 fois vainqueur de la Coupe de France, 3 participations consécutives à la Ligue des Champions, et je suis international français de foot amputé.
Kamel : Je m'appelle Kamel Saouchi, je suis le coach du Paris FC. (0:14) Je suis référent de la Fédération française de football pour amputés et sélectionneur de l'équipe de France de football pour amputés. pareil

Comment avez-vous découvert cette discipline du foot amputé ?
Hamza : J'ai découvert ce sport en 2017, et depuis, je suis joueur. J'ai participé à la Coupe du Monde en Turquie pour ma première participation avec l'équipe nationale du Maroc. Nous avons terminé 5èmes au monde. J'ai trouvé le niveau de jeu vraiment excellent.
Marwan : Après cet accident, j'ai accepté mon handicap grâce à mes amis et à ma famille. Ensuite, je suis venu en France depuis 2018, et là j'ai découvert le football amputé grâce à un collègue qui joue avec moi. Il m'a parlé du football, j'ai essayé une fois, et j'ai kiffé, parce qu'à la base, je jouais au football normal, valide, avec mes amis. Après mon accident, j'ai dû tout réapprendre, marcher avec des béquilles, puis m'adapter pour jouer avec une seule jambe. En 2018, j'ai eu ma première convocation avec l'équipe de France, et depuis, ça fait six ans que je joue en équipe de France et avec mon club, le Paris FC.
Mohamed : En fait, c'est par hasard que je suis tombé sur ce sport. Je cherchais à me reconstruire psychologiquement et je voulais trouver une discipline sportive pour me retrouver aussi bien mentalement que physiquement. J'ai été convié à un entraînement de foot en salle, où il y avait des joueurs de handi-foot, dont des amputés. J'ai donc participé à une première séance d'entraînement, puis j'ai pris une licence de foot amputé, à l'époque au club de Jouy Le Moutier.
Kamel : Moi, j'étais dans le monde professionnel, tout simplement. J'ai passé de très bons moments avec le groupe France, notamment avec les U17 nationaux, des moments vraiment enrichissants. Il y a quelques années, on m'a contacté pour me proposer de prendre en charge l'équipe de France de football pour amputés. Je ne savais pas ce que c'était, car ça fait 20 ans que je travaille dans le milieu du handicap, mais pas dans le foot. J'ai découvert que ça se joue avec des béquilles, sur une seule jambe. Le mot résilience prend tout son sens. Et pourquoi pas ? Car ça se rapproche beaucoup du foot valide, à part que les dimensions du terrain sont réduites, et qu'il n'y a pas de hors-jeu. J'ai trouvé ça très intéressant. J'ai donc quitté mes fonctions dans les clubs où j'étais pour m'engager avec l'équipe de France, et maintenant avec le Paris FC. On a ouvert cette section en 2022, le premier club à l'avoir fait dans l'histoire.
Pourriez-vous expliquer à ceux qui ne connaissent pas le foot amputé, quelles sont les principales règles qu'il faut respecter ?
Hamza : Pour les règles du football amputé, il faut jouer avec des béquilles, et il est interdit de toucher le ballon avec celles-ci. Le gardien doit avoir un bras en moins et ne peut pas sortir de sa zone de 2 mètres. S'il en sort, il reçoit un carton rouge.
Mohamed : Les règles du handi-foot se jouent à 6 joueurs plus un gardien. Les dimensions du terrain correspondent à la moitié d'un terrain de football classique, et les matchs se déroulent en deux périodes de 25 minutes. Il est interdit de toucher le ballon avec les béquilles ou avec le moignon, c'est-à-dire le membre amputé. Il y a également deux temps morts par mi-temps.
Comment se déroule une saison typique de foot amputé pour vous et votre équipe ?
Kamel : On n'est pas au centre de formation du Paris FC, mais on est à Déjerine, où les jeunes s'entraînent à la pré-formation. On s'entraîne deux fois par semaine, avec un match le week-end, et on prépare nos matchs. Il y a un championnat avec cinq équipes, et Paris a été champion de France cinq fois consécutives. On s'est qualifiés à la Ligue des Champions trois fois consécutives. On a gagné la Coupe de France et le championnat de France. Donc, on s'entraîne de façon assez intensive. Comme je le dis, mes joueurs ne sont pas des héros, ce sont des joueurs de haut niveau qui pratiquent leur discipline. Ils s'entraînent deux fois par semaine, parfois quatre entraînements par semaine. C'est juste extraordinaire.
Est-ce que le handi-foot est votre activité principale ou avez-vous une autre occupation professionnelle ?
Hamza : Je joue également au stick ball et au volley assis. Je travaille dans la restauration sur l'île Saint-Denis, où je suis responsable depuis 2 mois. Je n'ai pas encore beaucoup d'expérience en France, cela ne fait que 6 mois que j'y suis.
Marwan : Oui, pour moi, le football amputé, c'est la première chose qui compte. C'est mon objectif, parce que j'aime le football, je suis fan de football. Je pratique aussi trois sports différents : le football, le volley assis et le teqball. Je travaille avec une association sur le handicap, avec les enfants, pour partager ces moments, leur raconter comment on a perdu nos jambes, comment on vit avec un seul pied. Moi, à la base, je suis éducateur sportif, mais je ne travaille pas en tant qu'éducateur sportif. Mon métier, c'est surtout de faire beaucoup de sensibilisation pour changer le regard des gens sur le handicap, et voilà, c'est ça mon objectif.
Mohamed : Non, en fait, je ne suis pas en capacité de travailler, j'ai un taux de handicap de plus de 80%. Du coup, je me consacre entièrement au sport, c'est devenu mon activité principale, et je m'y investis totalement.
Est-ce que en faisant du Foot amputé vous avez déjà été blessé et si oui comment vous avez pu gérer la blessure ?
Marwan : Moi, je n'ai jamais été blessé, et j'espère que je ne le serai pas. Il y en a qui plaisantent et tout, mais moi, depuis des années que je joue au football, je n'ai jamais été blessé.
Quels sont vos objectifs pour la Ligue des Champions qui va arriver en Italie ?
Kamel : On va parler d'objectifs. C’est toujours en se fixant des objectifs qu’on avance. Le premier objectif avec mes joueurs, c’est qu’ils prennent du plaisir. J’aimerais bien qu’on atteigne les demi-finales de la Ligue des Champions. Ce serait vraiment quelque chose de sympa. Sachant qu’on reste un club amateur, on ne gagne pas d’argent. On est tous bénévoles pour la cause. Contrairement à d’autres équipes comme les Turcs, les Espagnols, ou d'autres, qui sont payés et vivent de leur passion. Nous, on ne vit pas de notre passion. La plupart des joueurs, moi y compris, travaillent pour gagner leur vie. C’est vrai que c’est difficile de rivaliser face à des équipes qui en vivent.
Marwan : Pour nous, les joueurs, le staff et le coach, notre objectif est d'atteindre les demi-finales et de nous classer en troisième ou quatrième place pour l'équipe.
Hamza : Pour la Ligue des champions en Italie, notre objectif est de terminer à la 5ème place.

Comment voyez-vous l'évolution du foot amputé actuellement ?
Hamza : Je trouve que l'évolution du foot amputé est très bonne actuellement.
Mohamed : En termes de compétition, le foot amputé bénéficie des mêmes compétitions que pour les valides, on a exactement les mêmes tournois. Au niveau de la médiatisation, avec les paralympiques, on commence à avoir un peu plus de visibilité. Mais justement, notre rôle est de promouvoir notre sport à travers toute la France, et plus particulièrement en région parisienne. C'est pour cela que nous faisons des actions de sensibilisation au foot amputé, et que certains matchs de championnat sont délocalisés pour montrer et promouvoir notre discipline.
Kamel : L'évolution, je la vois parce que l'UNESCO nous a donné une force incroyable. On a rencontré des ambassadeurs qui étaient présents, comme Miguel, l'ambassadeur de l'UNESCO pour l'Argentine. D'autres encore ont aidé à porter notre sport et notre discipline très haut. Et ça, c'est vraiment important. En même temps, j'ai rencontré des personnes à l'UNESCO, comme des jeunes reporters, notamment un garçon qui s'appelle Gabriel, un garçon formidable qui m'a vraiment fait plaisir. J'ai vu que c'était un garçon très motivé. Et je me dis que, pour toucher ces gens-là, il faut que je continue à faire grandir cette discipline.
On fait également des sensibilisations à l'handicap dans les collèges, dans les lycées, dans les universités, dans les CESA, dans les IME, et même dans les prisons de France. Parce que le handicap, comme je l'ai dit, il n'a pas de couleur de peau, d'origine ou de pratique politique. Quand on est en situation de handicap, on l'est, tout simplement. On sensibilise beaucoup de personnes. Et croyez-moi, après une sensibilisation avec les joueurs du Paris FC, on en ressort grandi. On n'est plus dans le déni. Parce que voir que leur handicap devient une force, c'est fort. Le mot « résilience » veut dire beaucoup de choses. C'est que du bonheur. Et là, on est booké jusqu'en 2025.

En tant qu'athlète de foot amputé quel est votre objectif ultime, votre rêve ?
Kamel : L'objectif c'est de créer une véritable association avec la Fédération française de football. On se bat tous les jours pour être reconnus par la Fédération française de football. Très bientôt, on va rencontrer Philippe Diallo, le président de la fédération, pour justement faire bouger les choses. C'est un vrai sujet. On sait que si toutes les primes des joueurs de l’équipe de France étaient reversées dans le football amputé, on pourrait vivre de ça pendant plus de 50 ans. C’est fou d’entendre ça, mais c’est la réalité. Aujourd’hui, cette discussion avec le président commence à porter ses fruits.
C’est l’objectif que je me suis fixé. D’abord, être reconnu par un club professionnel : c’est fait. Ensuite, être reconnu par la Fédération française d’handisport : c’est fait. Mon troisième objectif, si j’ai la force et l’énergie de continuer, c’est que mes joueurs puissent être reconnus et vivre de leur passion.
Mohamed : Mon objectif ultime, c'est d'essayer de faire un podium en Ligue des Champions. Ce serait vraiment top, parce que, comme son nom l'indique, c'est la Ligue des Champions, donc tous les champions nationaux de tous les pays européens s'y affrontent. Le niveau est extrêmement élevé, parfois même plus que lors d'un championnat d'Europe, et peut-être même équivalent à celui d'une Coupe du Monde. Mais voilà, mon but, c'est de monter sur le podium en Ligue des Champions, ça serait vraiment bien.
Marwan : Mon rêve est que nous gagnions le championnat, et mon objectif est aussi de remporter la Ligue des Champions. Pourquoi pas ? C'est difficile pour nous, car les Turcs sont très, très forts. Pour moi, c'est vraiment un objectif de gagner la Ligue des Champions, la Coupe du Monde, et d'autres trophées. J'aime les trophées et je n'aime pas perdre.
Justement Marwan vous dites que vous aimez beaucoup les trophées et vous venez de gagner un trophée, vous avez été le meilleur joueur de ce week-end
Marwan : Moi, j'ai l'appétit de gagner comme ça, parce que parfois j'ai été meilleur buteur, parfois meilleur joueur. C'est le travail qui paye. Si tu t'entraînes et que tu progresses, avec l'esprit d'équipe, ça me donne la force pour être sur le podium, on va dire, individuellement. J'ai gagné ce trophée et je l'ai dédicacé à cette ville, à vous, au public, et après voilà.

Pouvez-vous nous raconter une anecdote ou un moment amusant ou inattendu qui vous est arrivé pendant un match ou un entraînement dont vous vous souvenez ?
Hamza : On plaisante souvent à propos du handicap, il y a toujours une bonne ambiance. Oui, on rigole beaucoup, tout se passe bien, c'est vraiment cool.
Marwan : Ah oui, il y a eu un incident en équipe de France où quelqu'un a tiré la balle si fort qu'elle est venue percuter une béquille. En fait, la béquille était cassée en dessous, et quand elle s'est brisée, elle a volé sur 4 ou 5 mètres avant de frapper un joueur directement sur la tête, lui laissant 5 ou 6 cicatrices. C'était choquant, nous étions tous très surpris.
Kamel : Lors d'un quart de finale contre Manchester City, j'ai un joueur qui s'appelle Mehdi, amputé du pied gauche. À un moment, il part en conduite de balle, il fait une passe et prend l'espace côté droit. Je lui dis : « Frappe du gauche ! » Je l'appelle l'abruti, parce que nous, on rigole toujours de l'handicap. Il frappe du gauche, mais il n’a pas de jambe ! Il se retourne et me dit : « Coach, j'en ai pas ! » Je lui dis : « Je sais, reprends ta place, mon garçon. » Voilà, pour moi c'est des anecdotes comme ça, parce qu'on rigole de l’handicap, ça fait partie de notre joie de vivre. Au lieu de prendre des antidépresseurs ou des neuroleptiques, on préfère rigoler entre nous, même hors football.
Mohamed : Souvent, on fait des matchs amicaux contre des équipes de valides, et on impose des thèmes à l’équipe valide, comme deux touches de balle, trois touches de balle, etc. L’anecdote, c’est que sans thème, gérer une équipe de valides devient très compliqué pour nous, parce qu’on est sur une jambe. Mais avec un thème, ça nous facilite un peu le travail. On a joué pas mal d'équipes valides et, en leur imposant un thème, on arrive à les battre. C’est une anecdote spéciale, mais c’est notre quotidien. On s’entraîne au Paris FC et on essaie de progresser dans ce domaine.

Un grand merci à Hamza, Marwan, Mohamed, ainsi qu'à leur coach Kamel, pour avoir pris le temps de répondre à ces questions avec autant d'ouverture et de sincérité. Cette interview m'a permis de réaliser à quel point le handicap, au-delà de ses difficultés évidentes, peut aussi être une force, un moteur de dépassement et de résilience. Leur passion pour le football, leur détermination, ainsi que leur esprit d'équipe, m'ont profondément marqué et ont véritablement changé ma vision du handicap. J'espère sincèrement que tous ceux qui liront cet article pourront ressentir la même inspiration et changer leur perception du handicap, en découvrant que ces joueurs accomplissent quelque chose de vraiment extraordinaire. De plus ces joueurs ont récemment terminé à la sixième place de la Ligue des Champions. Bien que cela ne corresponde pas tout à fait à l'objectif qu'ils s'étaient fixé, leur performance reste exceptionnelle puisque se qualifier pour un tel niveau de compétition est déjà un exploit remarquable !
Je les remercie encore une fois et j'espère avoir l'opportunité de les revoir. À très bientôt pour une nouvelle interview le mois prochain !