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Interview de Julien Brun : "Avoir un métier passion, ça a un prix. L’idée, c’est d’essayer d’être le plus malin dans la gestion de tout ça."

Julien Brun, commentateur sportif reconnu, passionné de football et voix familière de millions de téléspectateurs a aujourd'hui gentiment accepté de répondre à mes questions !
13 mai 2025 par
Actus foot, Gabriel
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Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans le septième numéro de cette rubrique.

Aujourd’hui, j’ai eu la chance de poser quelques questions à Julien Brun, commentateur sportif reconnu, passionné de football et voix familière de millions de téléspectateurs. Je ne vais pas en dire plus, car il saura se présenter mieux que quiconque...

J.B : Je suis Julien Brun, journaliste commentateur, je travaille quasiment exclusivement dans le football, pour plusieurs chaînes, j’ai travaillé pour Eurosport, Canal+, beIN Sports, Téléfoot, Prime Video, TF1, DAZN. J’ai commenté de nombreuses compétitions : la Ligue 1, des championnats étrangers, la Ligue des champions, plusieurs Coupes du monde, plusieurs Euros…


"Il faut savoir prendre des risques."


Vous êtes aujourd’hui commentateur sportif, mais comment on accède à ce poste ? C’est un métier où peu de gens ont accès, quel a été votre parcours ?

J.B : J’ai fait un bac ES, donc un parcours assez général. Ensuite j’ai fait un DEUG d’économie à la fac, puis l’école de journalisme de Bordeaux, l’IJBA. Et puis j’ai commencé à travailler à Eurosport, avant même d’avoir mon diplôme. Au départ je ne commentais pas, j’avais envie, mais je ne me sentais pas prêt. J’ai attendu quelques années, et puis quand je me suis senti prêt, j’ai commencé à commenter, et depuis je n’ai jamais arrêté. Mon premier poste à Eurosport, c’était un CDD de trois mois, puis un CDI. Mais le type de contrat, pour moi, ce n’est pas ce qu’il y a de plus important. J’ai quitté des CDI pour des piges précaires, parce que ça m’attirait plus. Il faut savoir prendre des risques. Aujourd’hui je bosse à la pige, comme quand j’ai commencé. Ce n’est plus du tout pareil financièrement, bien sûr. Mais j’ai fait des choix parfois risqués, comme quitter beIN pour Mediapro. Bon, Mediapro a été un fiasco, je me suis retrouvé au chômage, mais sans ça, je n’aurais jamais bossé à TF1 ensuite. Donc il faut parfois tenter des trucs, sinon on reste bloqué.



Comment vous vous êtes orienté vers le journalisme sportif ? C’était prévu pendant vos études ou venu après ?

J.B : Pendant mes études, je n’ai pas vraiment choisi. En école de journalisme, j’ai quasiment pas fait de sport. Ce n’est pas que ça ne m’intéressait pas, mais justement, comme je savais que j’aimais ça, je me suis dit que j’allais profiter de mes études pour découvrir d’autres sujets. J’ai fait très peu de sujets sportifs. Par contre, j’ai fait des stages, dont le dernier à Eurosport. J’ai voulu m’ouvrir à plein de choses, et je pense que c’est important, même pour un journaliste sportif, d’avoir une formation généraliste, pour la méthodologie ou avoir d’autres façons de penser.

En stage, je me suis rendu compte que ce que je voulais vraiment, c’était faire du journalisme spécialisé. Quand j’étais à France 3, par exemple, le matin on me disait : « aujourd’hui tu fais un sujet sur une cantine scolaire, demain sur un conflit social, après-demain sur la fête des mères »… Je me sentais toujours à côté de la plaque, car je ne maîtrisais aucun de ces sujets. Moi, je voulais bosser dans un domaine que je connaissais bien. Il y avait trois trucs qui me plaisaient : le sport, la musique, et la politique. J’ai choisi le sport parce que je savais que ce serait celui qui me procurerait les émotions les plus positives. Je me suis dit qu’une carrière, ça dure 40-45 ans, et que j’aurais plus de plaisir à passer tout ce temps à parler de sport qu’à parler de politique, par exemple, qui peut vite devenir frustrante.


Et comment vous avez réussi à accéder à ce poste-là précisément ? Souvent, on commence par vouloir être journaliste sportif sans savoir comment devenir commentateur.

J.B : J’en avais envie, mais je ne me sentais pas prêt à 21 ou 22 ans. Donc j’ai fait d’abord du chef d’édition, du reportage. Et la première fois que j’ai commenté un match de foot à la télé, c’est parce qu’un ancien chef d’Eurosport, qui était parti ailleurs, savait que ça m’intéressait. Il m’a proposé, j’ai essayé, ça s’est bien passé, et puis j’ai continué. C’est souvent une question d’opportunité, de réseau, pas forcément familial, mais de gens qu’on croise dans le milieu professionnel. Et une fois que j’ai commencé, je me suis arrêté de faire les autres formes de journalisme sportif, et je me suis consacré uniquement au commentaire.


En tant que commentateur, comment vous gérez les déplacements avec la vie de famille ?

J.B : C’est un vrai sujet. Je suis rarement chez moi le week-end, et je n’ai jamais mon planning trois semaines à l’avance. Il faut être clair avec son ou sa partenaire dès le départ. Ma femme le savait. Et il faut aussi être intelligent quand on est là. Par exemple, moi, quand ma fille était petite, je l’emmenais et allais la chercher à l’école quasiment tous les jours. Parce que je n’étais pas là le week-end, je voulais être là le reste du temps. C’est un équilibre difficile à trouver. Beaucoup de couples se séparent, c’est vrai. Mais avoir un métier passion, ça a un prix. L’idée, c’est d’essayer d’être le plus malin dans la gestion de tout ça.


"C’est un vrai travail de bureau."


Comment vous préparez les matchs que vous allez commenter ?

J.B : Il y a plusieurs niveaux. Il y a une préparation un peu invisible : regarder des matchs de foot, très régulièrement, tout le temps, dès qu’on peut. Et puis après il y a une préparation très spécifique : des fiches collectives sur les équipes, des fiches individuelles sur les joueurs. C’est un vrai travail de bureau. Moi je les fais moi-même, parce que l’intérêt de ces fiches, c’est de les fabriquer. Quand on les fait, on retient les infos. Si quelqu’un les fait à votre place, ça n’a pas le même impact. Et puis après, parfois j’appelle des gens du monde du foot, des entraîneurs par exemple. Mais je préfère souvent les échanges sur place, au stade. On obtient parfois des petites infos un peu "inside".


Justement, commenter un match depuis le stade, est-ce vraiment plus intéressant que le faire à distance ? Est-ce qu’on ne voit pas mieux depuis la télévision ?

J.B : Pour moi c’est toujours mieux d’être au stade. Si quelqu’un dit qu’il ne voit pas bien, il faut peut-être penser à changer de lunettes ! Non mais sérieusement, on est bien placés, et on a toujours un écran à côté si jamais on a un doute. On perçoit mieux la tactique, l’ambiance, on entend mieux les supporters. Tout est meilleur sur place.

Le doublé de Lucas Stassin face à l'Olympique Lyonnais vu du poste commentateur le dimanche 20 avril 2025. (©daznfr)


Et concernant les moments de silence pendant le match, comment vous décidez quand intervenir, quand laisser place à l’ambiance du stade, ou à votre binôme si vous êtes accompagné ?

J.B : Avec le binôme, c’est assez naturel. On sait dès le départ ce que chacun doit dire, quand parler, quand passer la main à l’autre. Pour les chants du stade, c’est quelque chose qu’on gère mieux sur place qu’à distance. C’est une question de feeling : si je sens que le public chante fort, je me tais un peu. Je peux aussi faire un petit geste à mon consultant pour qu’on profite ensemble de l’ambiance. Il n’y a pas de règle stricte, c’est quelque chose qu’on ressent.

(Julien Brun au côté de Sabrina Delannoy avec qui il a commenté sur TF1  - © C. Chevalin/TF1)


Lorsqu’un match est tactiquement verrouillé ou un peu moins vivant, est-ce plus difficile de maintenir l’attention du téléspectateur ?

J.B : Le fait d’être au stade rend toujours un match meilleur. Même un mauvais match y paraît plus intéressant. Et quand on commente, on est concentré sur le fait d’être à l’antenne, pas uniquement sur le jeu. Et puis, un match peut basculer à tout moment. On en a vu plein qui étaient ennuyeux pendant une heure et incroyables ensuite. Il ne faut pas mentir au public, ils voient bien si le match n’est pas bon, mais on garde toujours une ouverture, car ça peut changer rapidement. Et les matchs très tactiques sont plus intéressants à observer au stade qu’à la télévision.


À l’inverse, avez-vous un ou deux matchs qui vous ont particulièrement marqué, en tant que commentateur ou simple spectateur ?

J.B : En tant que spectateur, la dernière finale de Coupe du Monde m’a marqué. J’étais très bien placé, et c’est un de ces matchs qui deviennent inoubliables. On croit que la France va perdre sans rien faire, puis tout bascule. En tant que commentateur, un Japon-Belgique en 2018 m’a marqué, un match à retournement. Cette saison, j’ai commenté Lyon-Marseille, avec un but de Jonathan Rowe à la fin, c’était très fort aussi. Mais les matchs de Coupe du Monde ou d’Euro sont les plus mémorables, pour la dramaturgie. Le Maroc-Portugal aussi : c’était peut-être la fin en Coupe du Monde de Cristiano Ronaldo, et la première qualification d’une équipe africaine en demi-finale. Commenter ça en direct sur TF1, avec des millions de téléspectateurs, c’est un moment très fort dans une carrière.

Le but de l'année en Ligue 1 de Amine Gouiri commenté par Julien Brun le dimanche 27 avril 2025. (©daznfr)


Voyez-vous une différence entre commenter une Coupe du Monde, une compétition internationale, et un match de Ligue 1 ? Est-ce que les émotions sont les mêmes ?

J.B : La différence principale, c’est le public. La Ligue 1, c’est pour un public très averti, des passionnés qui s’abonnent et regardent tout. Donc il n’y a pas besoin d’expliquer autant. Pour les Coupes du Monde ou l’équipe de France, on s’adresse aussi à des gens qui regardent rarement du foot. Il faut revenir à des choses plus basiques. En club, on commente pour des "fous de foot". En sélection, on partage le foot avec des gens qui le regardent une fois par an. C’est un foot de passion commune, moins d’esthétisme. Je suis donc moins exigeant avec une équipe nationale : ils ont peu de temps pour travailler ensemble, seul le résultat compte. Quand certains critiquent l’équipe de France de Deschamps, en disant qu’on s’ennuie, je pense à tous les gens qui vibrent avec cette équipe, même s’ils ne regardent jamais de foot le reste du temps. Si cette équipe avait mieux joué mais perdu en quart à chaque fois, elle aurait laissé moins de traces.


Et en Ligue 1, pouvez-vous soutenir un club en particulier ou devez-vous absolument rester neutre ? Comment le vivez-vous ?

J.B : En Ligue 1, oui, il faut être totalement neutre. Il y a des supporters des deux clubs qui regardent. On peut être un peu plus orienté quand on commente un club français en Coupe d’Europe, ou l’équipe de France, mais même là, sans tomber dans le chauvinisme. Pour ma part, ça ne me coûte rien, je ne suis aujourd’hui supporter d’aucun club. Je peux commenter un PSG-OM sans recevoir trop de critiques. J’ai même fermé mon compte Twitter. Sur Instagram, où je poste très peu, je reçois à peine une dizaine de messages après un gros match. Certains diront que j’étais pro PSG, d’autres pro OM — donc je me dis que ça va. Je fais mon métier. Même si c’est un métier passion, ça reste un travail. Mon objectif, c’est de faire un commentaire accessible à tout le monde, que les gens soient supporters des deux clubs, d’un seul, ou même d’aucun.


'J’aimerais bien que ce soit le PSG"


Et quand vous parlez du PSG, question un peu plus ouverte pour cette année : qui voyez-vous gagner la Ligue des Champions entre le PSG et l’Inter ?

J.B : Je n’en sais rien du tout. J’avoue que là, j’aimerais bien que ce soit le PSG, mais quand je vois les demi-finales entre l’Inter et le Barça, je me dis que ça ne va pas être évident non plus. Sur un match comme ça, en plus, c’est impossible de trancher.


Avec l’évolution de la technologie, vous pensez que l’intelligence artificielle pourrait remplacer les commentateurs sportifs, ou certains postes liés au foot ?

J.B : J’imagine que c’est possible. Je ne suis pas un grand spécialiste, mais puisque ça peut remplacer des postes de traducteurs en simultané, par exemple, je me dis : évidemment, moi je n’ai pas un savoir-faire supérieur à ça. Donc dire que c’est impossible, c’est faux. Est-ce que ça va se faire ? Je n’en sais rien du tout. Mais oui, il sera peut-être possible d’avoir des commentaires « sur mesure » — genre quelqu’un dira « je veux 80% pour cette équipe, 20% contre », des choses comme ça. Ça existera sans doute. Après, je ne vais pas flipper tout de suite, sinon on s’arrête de vivre. Mais oui, c’est envisageable. Si on arrive à un stade où on oublie complètement l’humain, même dans l’émotion — car il y en a beaucoup dans le commentaire sportif — alors ça voudra dire qu’il n’y aura plus beaucoup d’humains nulle part. Mais ce n’est pas du tout impossible.


Pour finir, s’il y avait un match que vous auriez aimé commenter, avec les équipes et le stade de votre choix, ce serait lequel ? Même un match qui n’a pas encore eu lieu ?

J.B : Cette finale de Ligue des Champions, par exemple, ça va être sympa, je pense. Après, c’est sûr que les matchs les plus marquants pour un commentateur, j’imagine que c’est de commenter l’équipe de France qui gagne une Coupe du monde. Thierry Roland et Grégoire Margotton qui l’ont fait sur TF1, ça doit quand même être des moments archi-marquants. Moi, je n’ai pas vocation à piquer le boulot de qui que ce soit, mais j’imagine bien qu’une finale de Coupe du monde avec l’équipe de France, je ne vois pas trop ce qu’il peut y avoir de plus fort que ça. Parce que c’est le match dont on rêvait sans imaginer que ça puisse exister. Moi, quand j’étais môme, j’ai grandi dans les années 90 où ils ne se qualifiaient même pas pour les Coupes du monde. À part celle qu’ils ont gagnée, il n’y a pas eu de Coupe du monde en 90, ni en 94.


Un grand merci à Julien Brun pour sa disponibilité et le temps qu'il a bien voulu m'accorder pour répondre à mes questions. Ce fut un échange très enrichissant. À très bientôt sur ActusFoot pour de nouveaux articles et interviews !


(Crédit image : E. Garnier/L'Équipe)

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